Les souvenirs défilent, des fragments de vie remontent comme des bulles à la surface et se rappellent à moi, inconstants et éparses.
Mon frère malade qui n’eut pas le bonheur (ou le malheur c’est selon) de connaitre l’école, en raison de crises d’asthme trop invalidantes. Les mois passés à l’Alpes d’Huez pour lui offrir un air plus sain, plus sec, pour qu’il puisse enfin respirer et avoir un semblant de vie normale. Ce royaume de glace émerveille mes yeux d’enfants, qui réalise un jour brutalement que cette beauté virginale peut aussi tourner en cauchemar. J’ai 10 ans. Une piscine en altitude, glaciale. Mes amis me jettent à l’eau. Je ne sais pas nager. L’effroi, la peur qui saisit mes entrailles. Je m’en suis tirée quand même. Dotée d’une volonté à toute épreuve, dopée par un instinct de survie à jamais vivifié par le froid, j’apprendrai donc à nager toute seule lors des prochaines vacances à la mer.
La petite école de montagne où je m’invite le temps d’une saison, l’odeur caractéristique qui se dégage du vieux poêle à bois placé dans la classe. Cette douce chaleur qui vient adoucir la rudesse de l’hiver, réchauffer nos petits corps penchés sur nos bureaux en bois et nos encriers.
Moi petite, qui sous l’œil attentif de mes parents, prend appui sur une vieille chaise en bois pour avancer à tâtons sur la glace. C’est hasardeux. Peu à peu j’apprends à glisser sur cette surface plane, j’apprends à patiner, j’apprends même à skier. Il y a des choses qui restent et qui ne s’oublient pas, imprimés dans la mémoire du corps. Toute ma vie, j’aurai à cœur de me rendre régulièrement aux sports d’hiver avec mon mari.
Ma mère, dont je retiens la beauté et l’élégance à toute épreuve, si bien assortie à la silhouette grande et élancée de mon père. Ma mère, souvent comparée à l’actrice Michèle Morgan, dont la chevelure dorée encadrait un visage félin mangé par d’immenses yeux bleus. Nous cinq, très proches, soudés dans les épreuves comme dans le meilleur de ce que la vie a à nous offrir, nous reliés comme les cinq doigts d’une même main.
Les grosses tartines que j’engouffre dans la cuisine en rentrant du lycée Molière : pain, beurre, confiture, tranche de roastbeef, moutarde : tout y passe.
La pension de famille de la rue Dailly à Saint Cloud, située dans la rue qui monte. Ce jardin où nous avons passé tant de temps à jouer au croquet, armés d’un maillet, s’amusant à passer la balle sous les arceaux d’acier. J’y suis repassée récemment, la maison a été démolie pour être remplacée par un immeuble. Je voulais voir si la maison existait toujours… maintenant je sais qu’elle n’existe plus que dans mes souvenirs et dans la mémoire des familles qu’elle a abritée.